Artisane
La Réunion
Les fibres de l’Entre-Deux
À l’Entre-Deux, là où les collines gardent les gestes du passé, Philomène Marie redonne vie au choka. Dans ses mains, cette plante longtemps perçue comme une envahissante devient fibre précieuse, mémoire tressée, héritage des femmes de son village. En revenant de métropole, elle retrouve ce savoir-faire transmis par ses parents et grands-parents, et décide de le protéger en fondant l’association L’Art et le Choka.
Autour de l’Entre-Deux poussent plusieurs variétés d’agave : le choka vert, le choka baïonnette ou sisal, et le choka bleu utilisé uniquement pour la broderie. On ne le cultive plus : on le récolte dans la nature, comme autrefois. Les hampes florales servaient jadis à conduire l’eau, récolter le miel sauvage ou bâtir des structures légères — témoins d’une économie ingénieuse.
Le geste est exigeant : écraser la feuille dans une râpe, extraire la fibre, puis tresser, crocheter, monter en lamelles. Certaines fibres deviennent bijoux, sacs ou broderies ; d’autres se transforment en savates — objets phares vendus à la Fête du Choka et même en métropole, où elles trouvent une reconnaissance inattendue. L’association collabore aussi avec des créatrices locales et a été mise en lumière aux côtés de l’artiste Ananda Goicovic lors de l’exposition Arpentisaz.
Philomène rêve aujourd’hui d’une machine d’extraction pour alléger le travail, en recherche avec RunFabrik, et multiplie les échanges, notamment avec des femmes de Rodrigues. Elle organise des ateliers pédagogiques pour transmettre ce savoir menacé : autrefois, plus de deux cents femmes travaillaient le choka dans l’Entre-Deux.
Par sa détermination, Philomène maintient vivante une tradition essentielle : une fibre humble mais porteuse d’une histoire tenace, ancrée dans la terre et la mémoire. »